Mardi 27 septembre… 6 jours que nous sommes de retour… Ce
matin, je me réveille pas trop fatiguée! Ouf enfin! C’est qu’il a été difficile
ce voyage en France! Pour ceux qui croient que je suis allée passer des
vacances dans le pays de nos ancêtres, je vous arrête tout de suite… 10 jours
en France et 4 jours à Montréal avec 11 élèves ça ressemble à tout sauf à des
vacances!!!! Je peux aussi vous affirmer que je dois être la personne qui peut
dénombrer le plus rapidement 11 jeunes dans une foule!!! Je compte de 1 à 11 à
une vitesse incroyable maintenant et je peux repérer mes petits acolytes de
vraiment loin ! Une compétence comme une autre me direz-vous hihihi!
Un an plus tard et nous y sommes arrivés. Je me rappelle
clairement cette marche le long de la baie d’Hudson avec Sandra. C’était en
septembre, probablement presque à la même date que maintenant, peut-être même
un peu avant. Sandra avec son projet farfelu d’amener des élèves en France,
mais aussi avec ses doutes. Moi avec toute ma confiance innocente, lui assurant
que l’Afrique m’avait appris que lorsqu’on croyait vraiment en un projet… il
n’y avait d’autre option que de le voir se réaliser!!! Merci pour toute cette naïveté!!
Chronique 1 – Le départ
Dimanche 11 septembre 2011 (ou peut-être 12 septembre…
n’ayez crainte… je ne repartirai pas avec mes histoires de calendrier… c’est
seulement que là, je vous écris de mon lit avec le pouvoir de mon insomnie de
décalage horaire et je ne sais plus trop si nous sommes toujours dimanche et
pas plutôt lundi…). Nous avons quitté le village il y a déjà 4 jours!
Mais là, il faut que je m’arrête! Vous savez bien que
lorsque l’on parle d’un voyage en partance d’Umiujaq, il faut inévitablement
commencer par parler du départ en avion. Je croyais qu’après mon aventure de la
dernière semaine de relâche (la course folle du pickup de l’école dans le
village, chargé de mes collègues enseignants, cherchant à me trouver pour aller
prendre l’avion qui était devancé…)
j’avais atteint le top des histoires à raconter en la matière. Eh bien
non!
À vos marques, prêts,
parteznepartezpasparteznepartezpaspartez!!!! Je vous explique ce jour
incroyable de fébrilité. Un peu comme sur un nuage, le 7 septembre dernier je
me suis retrouvée à l’école, ne sachant plus trop quoi faire de mon moi-même,
étant un peu excitée à l’idée de partir vers Montréal et Paris… L’avant-midi se
déroule donc comme dans une sorte de brume… un peu à l’image de celle qui
s’installait en même temps sur notre cher village nordique… 13h15, rendez-vous
de tous les élèves à l’école. 14h00, départ pour l’aéroport… L’avion est à
15h45… Brouillard brouillard quand tu nous tiens… Nous sommes tous un peu
silencieux face à cette couverture qui refuse de se retirer… Comme prévu,
l’avion a du retard… 16h00, toujours pas d’avion… 16h30, toujours pas d’avion…
17h00, l’avion passe par dessus nos têtes sans atterrir… Je sens un peu de
soulagement chez certains des élèves, mais nous sommes pour la plupart déçus…
et moi je commence à me stresser un peu… Comment Air Inuit fera pour nous
mettre tous sur l’avion du lendemain??? Nous sommes 13 à voyager…
Comme chaque fois qu’un avion ne se pose pas, une confusion
s’installe dans l’aéroport… Nous bagages nous attendent dehors, Willie ramène
les élèves au village, Nellie et moi attendons des nouvelles puis finalement
trop étourdies par toute cette cacophonie, nous retournons vers le village.
Nellie chez-elle, moi chez-moi… Je sors mon ordi et mon
bottin de téléphone. Je contacte d’abord Sandra qui attend mon appel avant de
quitter Victoriaville pour venir nous rejoindre à Montréal. Je contacte ensuite
Martin qui était supposé venir nous chercher à l’aéroport de Mtl. Je raccroche
et le téléphone sonne… C’est Nellie qui me dit que l’Avion va essayer de ré
atterrir!!!! Vite vite vite, je rappelle Sandra et Martin… Changement de
programme, l’avion revient, nous partirons peut-être finalement! Je remballe
mon ordi, je prépare un sac de bouffe pour les élèves et j’attends à côté de ma
porte. Dring dring… le téléphone sonne de nouveau… C’est encore Nellie...
Finalement, Air Inuit nous réserve des places sur l’avion du lendemain, celui
qui monte vers le Nord, pour nous faire prendre le Jet qui redescend vers
Montréal en fin de journée… Ha! OK! Je commence à flirter avec l’idée de passer
une soirée tranquille à la maison. Je reprends le téléphone pour annuler mon
annulation d’annulation! Sandra, Martin… vous êtes libre ce soir, nous serons
là demain! Tellement convaincu, je mets même de l’eau à bouillir et commence à
réfléchir à ce que je pourrais bien manger pour souper ou plutôt chez qui je
pourrais me faire inviter… Chaudron rempli, juste comme je m’apprête à prendre
le téléphone pour finalement m’inviter chez Bobby et Angela, l’appareil se met
à sonner de nouveau! Je réponds de nouveau et devinez quoi??? Eh bien oui,
c’est encore Nellie et cette fois, je sens l’énervement dans sa voix!! L’avion
est allé à Sanikiluak (les îles justes en face) et il est en route pour venir
nous chercher. Le temps s’est effectivement dégagé un peu. Cata!!! Maintenant il
faut récupérer tout ce beau monde dans le village!!! J’amorce la fermeture de
mon ordi, j’éteins le rond de poêle, je rappelle Martin et Sandra pour annuler
l’annulation de l’annulation de l’annulation… heu… en tout cas… je les rappelle
pour leur dire que si je ne les rappelle pas c’est que nous sommes dans
l’avion!
Chronique 2 - Montréal
Un jour et demi avec 11 élèves d’Umiujaq au centre-ville de Montréal c’est quelque chose. J’aurais cru les retrouver un peu craintifs, restant à proximité… je m’étais trompée! La seule chose que j’ai remarquée comme « crainte » fut celle de traverser la rue! Trop drôle de les voir hésiter comme de petits enfants, ne sachant trop comment juger la distance les séparant des voitures! Sinon, métro et autobus, marche dans les rues (sur les trottoirs bien sûr)… ils ont tous été d’une indépendance incroyable, presque tous devrais-je dire, si ce n’est que Isaac qui s’assurait toujours d’un contact visuel lorsque nous n’étions pas à proximité! La raison officielle de notre arrêt à Montréal : visiter des écoles de métiers. La raison officieuse : aller magasiner. Je vous laisse deviner laquelle des deux activités j’ai préférée, je vous laisse deviner laquelle des deux activités les élèves ont préférée… Merci Sophie de nous avoir accompagnés à l’école des métiers de la construction. J’ai grandement apprécié la visite, j’ai grandement apprécié d’observer les élèves pendant la visite. Le meilleur commentaire que j’ai eu est venu de la part de Bi qui après peut-être une vingtaine de minutes dans l’établissement m’a demandé tout bas… « Elle est où l’école ?» Quand il a compris que cette grande salle avec des chauffe-eau, des outils et surtout pas de bureaux était une classe, une petite lueur est apparue au fond de son regard!
Chronique 3 – La France
10 jours en France, précédés d’une journée et demie à
Montréal = arrivés trèstrès fatigués à Paris. Est-ce que je vous ai dit que 10
élèves sur 11 sont des fumeurs? Et ben oui! Plus de huit heures sans fumer ça
peut rendre quelqu’un impatient, il paraît, mais voilà qu’ils commencent déjà à
me surprendre. Pas vraiment de saute d’humeur, si ce n’est que le caractère de
NN qui montre un peu des dents entre deux siestes. Donc, un vol de 6 heures sans
histoires, mis à part le service ordinaire des agents de bord qui semblent nous
prendre pour une bande de sauvages… Ben non, j’exagère et elle était trop
facile, mais je n’ai vraiment rien de bon à dire au sujet du service reçu à
l’aller. 11 jeunes qui ne comprennent pas toujours bien le français ou
l’anglais à qui on ne prend pas la peine d’expliquer ce qu’est un poulet
parmigiana ou un bœuf Stroganoff… à qui on n’offre pas le même service qu’aux
autres passagers, avec qui on n’a pas la même patience… Les élèves ne semblent
pas l’avoir remarqué… Sandra et moi l’avons remarqué…
Jour 1 Arrivée à Paris :
La gêne, la gêne la gêne… et les mauvais caractères qui
sortent… la fatigue aussi… et quelle chaleur… 35 degrés!!! Rien pour nous
aider, nous pauvres Inuit venus du froid! En débarquant de l’avion, il y a une
sorte d’urgence… « Je veux fume! » Avant de sortir… il faut passer la
douane, récupérer nos bagages, rencontrer nos correspondants… Et tout ça… ça
peut être un peu long! Donc la douane. Stratégie mise en place, Sandra, Nellie
et moi nous séparons les élèves. Un peu nerveuse, je me dirige avec mes 5
acolytes pressés de sortir « fume » et un peu grognons, vers le poste
de douane. Je suis prête!!! J’ai les passeports de chacun, les autorisations de
voyager à l’étranger des parents, la lettre de l’école appuyant le projet
d’échange, les preuves d’étudiants…
Avec un sourire nerveux, je m’installe devant l’aquarium humain qui
contient le poisson… oups l’employé de la douane… et je lui tends les
passeports. Puis là, pas plus bruyant qu’un poisson, il ne me regarde même pas,
il attrape son tampon et tamponne chacun de nos petits cahiers! Heu QUOI????
Es-tu un poisson aveugle sourd et muet??? Ça ne te dirait pas de regarder avec
un peu plus d’attention ce fameux document précieux qui m’a coûté toute la
sueur de mon front???? Puis nous??? Ça ne te tente pas de nous parler un peu???
On est si fier de venir vous visiter!!! On vient de tellement loin! NIET! Nous
sommes tombés sur un poisson blasé! Bon… j’imagine que moi aussi je dois être
un peu fatiguée… Au moins, nous n’avons eu aucun problème à rentrer au pays!
Quand je pense que les Canadiens se font reprocher leur laxisme aux
frontières!
Donc passage facile de la douane Française. Barrière passée,
nous nous dirigeons d’un pas rapide vers la « sortie » cigarette
oblige. Je suis en tête avec B. Nous longeons le dernier corridor et nous
débouchons sur une grande salle… remplie de monde! Aux premières loges, je
reconnais déjà quelques élèves avec qui nous avons échangé pendant un an via Skype!
Ciel, ils sont nombreux (pas plus de 20 d’accord, mais bon…) à nous attendre! B.
les aperçoit presque en même temps que moi et sa première réaction est de
rebrousser chemin! Tiens donc… la gêne prend le dessus sur le besoin de
nicotine à ce que je vois! N’ayant d’autre choix que de se montrer le bout du
nez, B. arrive quelques secondes plus tard, entouré du reste du groupe. De mon
côté, lorsque j’ai reconnu les élèves, j’ai délibérément ralenti le pas.
Balayant la foule du regard, je me suis mise à chercher Pénélope et Anne… et je
les ai trouvés. Confusion de l’arrivée, nos élèves gênés qui veulent aller se
cacher derrière une cigarette, ma fatigue s’envole et je prends enfin
conscience que nous sommes en France! Les élèves français semblent tellement
contents de nous accueillir! Ils ont fait trois heures de bus pour venir nous
chercher.
Après les cigarettes, les verres d’eau et les toilettes,
tout le monde se retrouve dans le terminal des arrivées. Il y a de la fébrilité
dans l’air! Les jeunes s’observent. Les nôtres se regroupent. J’aperçois
quelques lueurs de craintes dans les yeux de quelques filles… Ce ne sera pas
facile que je me dis. Une photo de groupe et nous sommes déjà en route! Dans
l’autobus, une séparation naturelle se fait entre Français et Inuit. Nos élèves
sont silencieux… Ça, ce n’est pas normal! Crevés, gênés sans doute un peu
sonnés par la chaleur, nous amorçons un rapide tour de Paris qui nous conduit
au pied de la Tour Eiffel!!!! WOW! Je peux maintenant dire que je suis allée à
Paris! (Petit retour en arrière de quelques heures… lorsque le poisson douanier
nous a redonné nos passeports, les élèves me les ont littéralement arrachés des
mains et se sont mis à tourner les pages… à la recherche de l’étampe Française.
J’imagine que c’est à ce moment qu’eux ils ont compris qu’ils étaient à
Paris... Moi ça m’a pris la Tour…)
Le soleil est magnifique pour nos premiers moments à Paris…
Peut-être un peu trop magnifique en fait… Bordel qu’il fait chaud! 35 degrés!! Ça,
c’est environ 30 de plus que le jour de notre départ d’Umiujaq… Nos
correspondants nous ont préparé des sandwichs… au jambon (je ne sais pas si
vous vous souvenez de la chronique sandwich au jambon, sandwich aux œufs de la
chronique Poncor). C’est fou ce que la mémoire oublie vite… car c’est moi qui
ai suggéré des sandwichs jambon fromage dans un moment d’égarement passager
j’imagine! J’observe donc la distribution des victuailles avec une certaine
appréhension… Aucune réaction… Ouf! Ils mangent!
Puis la journée se poursuit tranquillement. Les garçons brisent
la glace plus facilement que les filles. B est sans doute l’élément clé de
cette évolution rapide chez les garçons. Il parle beaucoup, fait le clown et
est pas mal show off! Les filles passent le reste de la journée à s’observer de
loin…
Après Paris et la Tour Eiffel, c’est le voyage de 3 heures
en bus jusqu’à Longueville où le maire nous attend pour un mot de bienvenue!
Accueil très formel, j’aurais aimé pouvoir entrer dans la tête des élèves pour
connaître leurs premières impressions. J’ai bien tenté d’écouter les discours
de nos hôtes (je m’excuse Pénélope et Anne), mais dans ma tête à moi, tout
défilait à un rythme fou… Je ne pouvais détacher mes yeux de Bi., B., M., Q.,
S…. Un peu comme dans une image insolite… Nous, installé au milieu de tout ce
décorum. Fatigués, crevés, peut-être un peu puants (après plus de 36 heures
depuis la dernière douche et le dernier changement de vêtements…). Sandra
souriante et fière. Moi presque au bord des larmes… C’est à ce moment que s’est
installé pour moi cette espèce d’impression de me retrouver sur le dessus d’une
vague, installée sur une planche de surf avec la pleine conscience de la
fragilité du moment, mais me sentant en même temps tellement bien de filer sur
l’eau, ayant l’impression que je ne tomberais jamais… Profite du moment… voilà
ce que je me suis dit. Voilà ce que j’ai fait pour les 10 jours qu’a duré notre
séjour…
…
Après les discours, la bouffe! Pendant la bouffe, le
P .R. . Après la bouffe, les
élèves… nos élèves commencent à partir dans les familles pour aller s’installer
avant le souper à la ferme… Tout d’un coup, ils ne sont plus là… Et ça me fait
tout drôle… Les familles ont l’air fantastiques, je sais que Pénélope et Anne
ont confiance en chacune d’elle… mais ça me fait tout de même tout drôle…
J’imagine que ça doit être la même chose pour eux…
…
Sandra et moi allons nous installer chez Anne pendant que
Nellie fait de même chez Pénélope. Puis, on se retrouve à la ferme. Chacune des
familles a préparé un petit quelque chose, il y a du pain frais et du fromage.
Les liens commencent déjà à se tisser chez les garçons. Quelqu’un me glisse
subtilement un verre de cidre dans la main… Il y a beaucoup de monde partout,
venu pour nous… Les gens sont curieux, parfois maladroits, mais nous posent des
questions. Ils sont intéressés par la vie de ces jeunes qui vivent à des
milliers de km de chez eux… Ils ont fait des recherches, ils se sont intéressés
à eux, aux Inuit, au Nunavut et Nunavik (qu’ils mélangent sans même savoir que
se sont deux territoires différents). Je les sens aussi touchés que moi par
l’expérience que nous offrons à ces jeunes, à ces familles qui les accueillent…
Nous parlons de la vie ici, des différences, des ressemblances… mais nous ne
parlons pas du surf que nous sommes en train de faire… ensemble…
Jour 2 à 7 Un programme grandiose!
Et puis tout s’est enchaîné, à rythme fou. Les journées se
sont succédé rapidement. Zoo, Dieppe, Rouen, Tour Eiffel de nouveau, École,
château, équitation, ballade sur la Seine, musée Rodin, plage… Nous avons eu
droit à un traitement VIP. Les familles ont littéralement adopté nos élèves. La
chimie s’est installée peu à peu chez les filles. La complicité s’est
solidifiée chaque jour chez les garçons.
Épisodes en vrac…
2e journée en France. Les élèves sont dans leur
famille respective. Quelques-unes d’entre elles se retrouvent en après-midi
pour une partie de bowling. Qui dit bowling dit souliers amusants de bowling,
mais dit aussi, bar à alcool… Eh bien oui… Pourquoi ne pas acheter de l’alcool
que se disent certains (je ne sais pas lesquels et je ne veux pas le savoir
même si je peux avoir de fortes suspicions…) et du barman de rétorquer,
pourquoi pas voilà ce que vous demandez!!!! Me semble que ça paraît qu’ils ne
sont pas majeurs nos petits copains… En tout cas! Disons que ce sont vraiment
des adolescents, mis en présence d’une facilité à laquelle ils ne sont pas
habitués, à un coût dérisoire qui plus est (à Umiujaq, une cannette de bière de
500ml peut valoir 20$). Ils ont commandé de l’alcool, la plupart en ont bu et
les parents s’en sont rendu compte et ont confisqué le tout… Lorsque j’ai
appris cet épisode, j’ai été déçue sur le coup… Nous avions été claires à ce
sujet Sandra, Nellie et moi. Je me suis sentie « trahie ». Puis je me
suis rappelé ma propre adolescence… et j’ai réalisé que ça n’avait rien à voir
avec moi…
3e journée en France. Les premières larmes surgissent. J demande d’aller passer la soirée et la nuit dans la famille de S. Je n’ai d’autre choix que de refuser. Si les filles le désirent, elles peuvent planifier avec leurs correspondantes une nuit chez l’une ou l’autre, mais le tout doit se faire avec l’accord des parents et les 4 filles doivent participer. J le prend mal et se met à pleurer. Le refus demeure et je la regarde partir avec le cœur gros… J est une des élèves qui était la plus enthousiaste l’an dernier. Je sais qu’elle est capable de s’adapter.
3e journée… La mère d’accueil de NN est inquiète…
NN ne parle pas, est rude avec eux et ne mange pas… Nous rassurons la maman,
lui affirmons que lorsqu’elle aura fin, NN mangera bien. Nous nous excusons
pour les comportements de notre charmante élève et lui rappelons que c’est la
première fois que NN sort du Nunavik. Bien que nous soyons arrivés en France
seulement 3 jours avant, de notre côté, ça fait presque une semaine que nous
avons quitté le village…
4e journée… Les larmes continuent… mais cette
fois c’est une élève de la France qui vient me voir… Elle commence par me
parler de Facebook… Q. qui habite avec elle écrit qu’elle veut rentrer chez
elle… L’élève croit que c’est de sa faute… et elle craque… Re-excuse,
re-explication de l’effet d’éloignement… Je tente de rassurer P. Pendant que je lui demande de ne pas le
prendre personnel, Q arrive près de nous et regarde la situation d’un air
perplexe. De voir toute la peine chez P me donne les larmes aux yeux (n’allez
pas croire que je me suis laissée aller à pleurer surtout!). Q est troublée et
je comprends qu’elle comprend que ce qu’elle écrit sur Facebook a un effet sur
sa correspondante… Elle s’excuse… NN lui dit de faire un câlin à P, mais c’est
trop pour Q. Elle retourne s’asseoir sur le banc (nous sommes au gymnase) et se
met à pleurer à son tour… Ouf… Pas facile! Mais à partir de ce moment, les
choses se sont tranquillement placées entre les filles. Je pourrais même dire
qu’une complicité a pris naissance ce jour-là!
5e journée. Retour à Paris! Cette fois, nous
montons dans la Tour! Je fais un bout avec P. Il est sympathique ce garçon et
surtout, il est radieux! Il a déjà une forte tendance à sourire, mais là il est
encore plus beau parce qu’il a l’air détendu à la fois. Vous savez, un genre de
sourire béat… Il ne parle pas beaucoup, mais lorsque nous croisons une
pancarte, il se fait un plaisir de me la lire. Peut-être banal pour la plupart
des gens que de lire des affiches dans la Tour Eiffel, mais pour moi, ce moment
avec P restera un des moments forts de notre séjour. À l’école, P refuse de
lire à voix haute. À Paris, P me lit les différentes notices que nous croisons…
et je peux voir une étincelle passer dans son regard lorsqu’il comprend qu’il
comprend ce qu’il lit!!! Depuis 4 jours et demi que nous sommes arrivés et je
vois déjà une grosse différence chez les élèves au niveau de leur français. D’abord
je les entends davantage parler, puis je les vois faire des efforts pour
apprendre les bons mots. « Vikie, comment on dit ceci? »
Toujours à Paris, I passe toute la croisière sur la Seine
assis entre Nellie et moi! Il parle un peu en Inutitut avec Nellie, un peu avec
moi en français. Isaac ne parle pas beaucoup habituellement. Après un échange
avec Nellie, il me regarde tout souriant. Oui? Que je lui dis… Lui de me
répondre par une question « Je peux aller en Chine avec mon passeport? »
Une idée de voyage exprimée en français!!!! Mission accomplie Sandra!
Toujours à Paris… nouvel épisode alcool… Bi agit bizarrement
aujourd’hui… Il tient précieusement son sac, ne laisse personne y toucher et
devient très nerveux lorsque nous passons la sécurité pour entrer à l’ambassade
Canadienne (où nous rencontrons une Parisienne qui parle Inutitut!!!)… Je le
soupçonne fortement d’avoir quelques bouteilles en sa possession… mais je ne
veux pas le pointer du doigt. J’essaye de ne pas être déçue, de ne pas le
prendre personnel… Je décide de prendre les 11 élèves, je leur fais part de mes
soupçons et je leur dis que je souhaite voir disparaître l’alcool… Le soir,
nous faisons part de mes soupçons aux parents d’accueils de Bi. Discrètement,
ces derniers fouillent dans les bagages et trouvent effectivement quelques
bouteilles qu’ils font disparaître. Le papa en profite ce soir-là pour avoir
une discussion avec notre cher Bi qui revient de meilleure humeur le lendemain.
6e journée… Il n’y en aura pas de facile…
La veille au soir, un peu après 23h00, j’ouvre mes courriels
et aperçois un message d’Ann-Nathalie, une collègue d’Umiujaq. Il y a une
mauvaise nouvelle… Une des cousines de NN, B et Q s’est enlevé la vie. Elle
vient du village qui est au Sud. La mère de NN est sur le mode panique et veut
que nous allions réveiller sa fille avec cette nouvelle… et elle veut que nous retournions sa
fille au village. Nellie arrive à lui faire comprendre que nous annoncerons la
triste nouvelle le lendemain matin.
Le processus stress s’enclenche de notre côté… Comment les élèves
réagiront-ils suite à ce nouveau suicide. B a déjà perdu un cousin en juin
dernier. Et les correspondants… Comment prendront-ils cette nouvelle?
Seront-ils en mesure de soutenir leurs correspondants? Et les familles? Devons-nous
mettre en place la cellule d’urgence?
Beaucoup de questions, beaucoup de stress… et finalement une
très bonne réaction de la part de tous. Bien sûr, il y a eu un choc. Bien sûr
il y a eu des larmes. Mais il y a surtout eu le silence. Ce matin-là, les
jeunes m’ont appris quelque chose. Ils m’ont appris que parfois, encaisser en
silence est un signe de force.
Citation du jour : Bi dit à Sandra « C’est fou,
tout le monde m’aime ici! »
7e journée… ça sent la fin… Après 7 jours en
France, j’ai pu développer une belle complicité avec les élèves. NN est de plus
en plus douce, de moins en moins farouche. Les élèves communiquent plus avec
moi. Je les sens plus près qu’avant, mais avec une indépendance qui fait
plaisir à voir. Je ne sais pas, peut-être qu’une sorte de confiance s’est
installée. Autant de mon côté que du leur… Ils sont incroyables ces jeunes que
j’ai décidé d’aimer il y a un an. Je me dis que nous avons bien fait Sandra et
moi de tenir le coup! Il nous est bien arrivé quelques fois l’an dernier
d’avoir envie de tout laisser tomber… Heureusement nous ne l’avons pas
fait.
Donc, 7e journée et dernière pour nous les
accompagnatrices avec les élèves. Le weekend se passera en famille. Nos hôtes
ont donc prévu une fête de départ pour la soirée. Plus de 100 personnes seront présentes
pour venir nous dire au revoir. Et là, je sais que je n’y arriverai pas à vous
transmettre l’émotion qui nous a envahis ce soir-là…
Un programme bien chargé une fois de plus. Des gens
importants se présentent au micro avec des discours préparés. Cette soirée est
une occasion de nous dire au revoir, mais aussi une occasion pour Pénélope,
Anne et les jeunes de faire rayonner le projet afin d’aller chercher de
nouvelles subventions. L’aventure ne doit surtout pas se terminer avec notre
départ… Après les discours formels, c’est notre tour d’avoir la parole… heu…
c’est au tour de Sandra et Nellie d’avoir la parole… Et elles font ça comme des
pros! Rien de préparé, tout d’improvisé… C’est bien nous et c’est bien touchant
finalement. Ne sachant trop quoi dire après les remerciements d’usage, Sandra
et moi invitons nos élèves Inuits à l’avant. J’ai amené avec moi 11 petits inukshuks
faits par un sculpteur du village. J’en remets un à chaque élève qui à son tour
appelle sa mère ou son père d’accueil à l’avant. Embarrassés, plusieurs élèves
réalisent qu’ils ne connaissent pas le prénom de leur parent Français… M
suggère simplement d’appeler « ananaksia ou atataksis »… maman ou
papa…
C’est à ce moment que j’ai compris toute la grandeur de la
semaine qui venait de s’écouler… Nos élèves devant cette « foule »
rassemblée pour eux. Nos élèves reconnus pour la richesse de leur différence.
Nos élèves acceptés, appréciés, intégrés et aimés pour ce qu’ils sont. Nos élèves
ayant développé un lien significatif avec ces familles. Nos élèves s’étant
adaptés à toutes ces différences (ne dit-on pas que l’adaptation est un signe
d’intelligence?). Nos élèves fiers de leurs différences. Des familles tellement
reconnaissantes envers ces jeunes qu’elles ont accueillis. Des familles touchées
par ces jeunes, par nos jeunes. Nous avons ouvert une fenêtre de chaque côté de
l’Atlantique. Et de mon côté, ils m’ont tous touché… familles, élèves Français,
élèves Inuits, Sandra, Nellie, Pénélope, Anne, Ludo, Lulu… Vous vous rappelez
le regard… Ce soir-là, j’ai regardé la vie autour de moi en me donnant une
nouvelle liberté, celle-là même de croire que tout peut toujours arriver! Il y
a un an et demi, je n’aurais jamais pu m’imaginer à Paris avec 11 élèves Inuits…
Je me sens bien aujourd’hui de cette nouvelle liberté que je me suis octroyée.
J’espère que les élèves en ont accroché une partie au passage.
…
Remplis d’émotions, nous avons tamisé les lumières et avons terminé
notre discours « officiel » en lançant un diaporama présentant notre
village et notre semaine en France. La musique d’artistes Inuits a rempli
l’atmosphère et les images ont rempli nos yeux. Le silence s’est installé chez
les convives, jusqu’à l’exclamation de nos élèves… Parmi les photos d’Umiujaq,
j’ai négligé d’enlever une image sur laquelle D apparaît (le jeune garçon qui
s’est enlevé la vie en juin dernier, cousin de B, ami de plusieurs des élèves
présents). Le diaporama continue et peu à peu, les élèves quittent la salle. Je
suis en train de programmer le diaporama en boucle lorsqu’un élève Français
vient me chercher en me disant que N ne va vraiment pas bien et qu’il pleure… Je
ne comprends pas trop ce qui se passe, mais lorsque je vois N je réalise que
c’est la photo de D qui l’a mis dans cet état. Il pleure et il crie. Il marche
dans le stationnement. A se tient près de lui. Je vois ses épaules qui montent
et qui descendent. Il pleure aussi. Un élève Français s’approche de N et le
prend dans ses bras. Je m’approche d’A et je fais de même. Il fallait que ça
sorte je pense. Je lève la tête à la recherche de Nellie et j’aperçois
plusieurs de nos élèves en train de pleurer dans le stationnement. Nellie
arrive, prend la relève et là je me dis qu’il est parfois mauvais d’encaisser
sans rien dire…
…
…
Un peu déboussolée, je me dirige vers l’intérieur, j’arrête
le diaporama, j’enlève la photo sur laquelle D apparaît. Je retourne dehors, la
situation se calme tranquillement. À l’intérieur, la réception continue. Après
un certain temps, S et J viennent me demander si elles pourront faire du chant
de gorge… La soirée reprend son cours, la mère de N va le chercher dehors et le
ramène à l’intérieur en lui disant qu’il doit se changer les idées… Finalement,
tous les élèves passent à travers cet épisode et reviennent s’installer à
l’intérieur.
…
Mon passage en Normandie se termine avec une fin de semaine
de congé! Bergère, mon amie Française que j’ai connue à Rimouski est arrivée la
veille et passe les deux jours avec nous! Marche sous la pluie, souper à Rouen,
bière sur une terrasse… Les vacances quoi!
Puis le jour du départ arrive…. La nuit du départ, je
devrais dire… 3h45 devant l’école de Longueville… Les familles et les élèves
sont là, tristounets. Accolades et câlins. Les parents sont très émotifs. Ils
ont pris leur rôle très au sérieux.
J’arrêterai ici pour aujourd’hui. Le retour vers Umiujaq
fera partie de ma prochaine chronique du Nord… qui est déjà en construction ne
vous inquiétez pas. Mes moments d’écriture ont été difficiles à trouver ces
derniers temps… Vous savez, le décalage horaire, les repas de fête, les amis de
passage au village… et surtout… surtout… ces deux cours par correspondance de
certificat auxquels j’ai eu la bizarre idée de m’inscrire… Mais ça y est, j’ai
rattrapé mon retard, je me suis remise de mon décalage horaire et j’ai enfin
vieilli d’un an! Tout ça est maintenant derrière moi et je trouverai du temps
pour écrire!