samedi 11 octobre 2014

Going Home




« Going home without my sorrow
Going home sometime tomorrow
Going home to where it’s better than before… »
                                    Going Home –Leonard Cohen

Année scolaire 2014-2015… Cinquième année Nordique qui débute. Dernière année Nunavikienne avant MA fameuse année différée. J’essaye encore de ne pas trop l’imaginer, quoi que dans les rares et brefs moments de découragements, je me réconforte en m’imaginant dans cet ailleurs pas trop futur (Vietnam, Cambodge, Indonésie, Laos, Chili… on verra bien) et sans doute meilleur.

Home…

Mi-Août 2011… dans le stationnement du cargo Air Inuit à PET, entre deux boîtes de carton.

« Mais Vikie? »
« Oui Mirko? »
« Elle est où ta maison? »
« Hummm…. Ma maison? »
« Oui TA maison! Elle est en Inde? À Québec? Dans le Nord? À Longueuil? »
« C’est une bonne question ça Mirko! » « Je ne sais pas trop… »
« … »
« … »
« Vikie? »
« Oui Mirko? »
« Quand est-ce que tu vas revenir? »
« Je reviens à Noël! »
« Non, non. Je veux dire, quand est-ce que tu vas revenir? »
« Ha… Tu veux dire,  revenir pour plus longtemps? » « Je vais revenir cet été J »
« … je veux dire REVENIR Vikie! »
« … » « Ha… Tu veux dire… revenir pour rester? »
« OUI!!!»
« … » « C’est une bonne question ça Mirko! » « Je ne sais pas trop … »


Et les nomades, ils répondraient quoi eux à cette question?   
« I'm lost and silent
in the wilderness
like an owl among the ruins
my wings lined with ashes
alone on the roof

I feel I'm a nomad »
            Geoffrey Oryema



(On dirait bien que je fais une chronique musicale aujourd’hui. Il y a beaucoup de pluie ces temps-ci sur Umi. Le ciel gris amène son lot de réflexions et se laisse bien bercer par la musique. Je passe donc beaucoup de temps à tricoter en pensant à vous (oui oui à vous chers lecteurs). Quelques mailles, quelques mots sur le papier. Quelques mailles, un café (PAS QUELQUES cafés vous vous rappelez). Quelques mailles, une pause pour écouter la musique de Cohen…)

Donc, vous l’aurez sans doute compris, ces temps-ci, je réfléchis beaucoup à l’idée de maison (dans le sens de sentiment d’appartenance à un lieu). Pour toutes sortes de raisons, mais surtout parce qu’il y a beaucoup de nouvelles personnes dans mon environnement immédiat cette année, j’ai été amené à partager d’où je viens et où je vis quand je ne suis pas ici… Et c’est probablement cette deuxième partie de la question qui m’a amené à me questionner davantage. 

J’ai quelques fois prétendu à la blague que j’étais une sorte de nomade (Y’a pas quelqu’un qui a fait une chanson là-dessus… Je suis un Nomade Sédentaire ?). Pour moi, pouvoir déménager à l’aide d’une simple minivan a longtemps été associé à une sorte de liberté. Chaque fois que je me suis départie d’un bien matériel imposant, ce sentiment de liberté s’est vu augmenté. Maintenant, mes possessions tiennent dans quelques pieds carrés, dans un entrepôt anonyme du boulevard Taschereau. À part 2 ou 3 antiquités et quelques BD, je peine à me rappeler ce qui y est empilé…

Alors…
« Elle est où ta maison Vikie ? »
Cher Mirko, je crois qu’après toutes ces années, je te dois au moins le début d’une réponse ;-) Et là j'entends vos voix résonner dans mes oreilles : Ciel Vikie !!!! 3 ans de réflexion !
C’est toujours ben moins long que Cent ans de Solitude!!!! Et arrêtez donc ! Vous le savez bien de toute façon que je suis lente !
Surtout… Surtout… Rappelez-vous M. Ibrahim et Oscar ! Le secret du bonheur… hein ??? C’est quoi le secret du bonheur ?? Le secret du bonheur c’est la lenteur voyons!!!!!!
Qu’on se le tienne pour dit !

À l’approche de cette année de congé bien mérité (hahaha n’importe quoi !), cette question de mon ami de maintenant 11 ans est plus que pertinente.  Parce que quand je partirai d’ici en juin… je ne devrais pas retourner à la maison justement?  Au cours des 10 dernières années, j’ai habité à Outremont, Verdun, Brossard, Rimouski, Québec, Longueuil et Umiujaq ! Peut-être pouvez-vous apercevoir le début de ma confusion ? Bon ! Mettons les choses au clair et évitons les stress inutiles. C’est bien certain qu’en partant d’ici, j’irai inévitablement quelque part (Sophie, tu imagines tout ce que je retrouverai là-bas !!!).  Mais est-ce que ce quelque part sera ma maison ?  … ? … ?


Finalement...

Peut-être que notre maison est partout, tant qu’on la trouve à l’intérieur de nous… 

Pour toi Mirko…
« Mais Vikie? »
« Oui Mirko? »
« Elle est où ta maison? »
« Hummm…. Ma maison? »
« Oui TA maison! Elle est en Inde? À Québec? Dans le Nord? À Longueuil? »
« C’est une bonne question ça! » « MA maison est en moi Mirko. Elle est dans mon café que je goûte, dans la baie que je regarde, dans la toundra que j’explore, dans les gens que je côtoie, dans la musique que j’écoute, dans la vie que je ressens. Elle m’accompagne où que je sois : Longueuil, Umiujaq, Barcelone, Inde, Burkina… Et tu sais quoi Mirko? C’est peut-être pour ça que j’arrive si facilement à être bien ailleurs. »

S’habiter… moi je l’aime bien cette idée. En plus, ça me donne un immense sentiment de liberté!




Puis parlant de liberté…
Quand je suis au travail, avec les élèves (ou les collègues…), je fais parfois preuve de… ce que certains qualifieraient, manque de sensibilité… Axée sur la tâche à accomplir, mettant de côté la sensibilité de chacun, regardant froidement les situations… Bref au travail, je travaille. Il m’est donc arrivé quelques fois (mais pas trop souvent quand même) de regarder des élèves (et parfois des collègues) pleurer sans essayer de les réconforter, et Ô shame on me,  sans éprouver de sympathie (ou empathie je ne sais plus trop). Cependant, j’ai toujours laissé l’espace aux élèves (et aux collègues) afin de vivre leurs peines ou leurs frustrations.
Et le rapport avec la liberté?
Et bien l’autre jour, E et N sont dans ma petite classe. L’équilibre est toujours très fragile avec ces deux élèves. Faisant preuve d’une froideur contrôlée, je respecte toujours cette fragilité. À l’écoute des besoins de chacun, j’adapte les leçons, je crée un lien significatif, je réponds le plus rapidement possible aux inquiétudes que je sens, je suis présente à chaque instant. Mais même avec seulement 2 élèves, il m’arrive parfois de ne pas voir arriver les débordements d’émotions.  Algorithme vertical de l’addition, sans retenue. Pas à pas, je fais les exercices avec les élèves. Jetons pour compter, règles pour additionner, papier pour tracer… N. suit bien et décide même de prendre un peu d’avance. E. a de la difficulté à compter… Règle, jetons, papier, modelage, accompagnement… Elle ne me suit plus car, du coin de l’œil elle l’a bien vu que N. peut travailler toute seule… Il suffit d’un mini instant et E. se ferme complètement. J’aperçois d’abord sa petite main se crisper sur son crayon. Elle dessine ensuite de gros traits pesants sur son papier. Son visage habituellement si doux semble se transformer en pierre. Ses yeux se remplissent alors de tristesse. Dans ce regard humide et brouillé maintenant inaccessible, je vois et ressens toute l’impuissance qui habite cet enfant…  Du haut de mon froid respect, je lui mets la main sur l’épaule. Par ce geste, je lui signifie ma présence… qu’elle repousse. Je lui dis alors qu’elle peut prendre une pause et que lorsqu’elle sera prête, je suis là pour elle. N. et moi continuons donc de travailler en tentant de respecter le plus possible l’espace de E.
Après quelques instants, le visage maintenant caché au creux de ses bras, j’entends et je vois les sanglots profonds sortir de cette élève blessée. Tout en continuant de travailler avec N., je dépose une fois de plus ma main sur l’épaule de E. Cette fois, elle ne la repousse pas…  Le corps tendu de cette fillette de 11 ans m’a déstabilisée. Je l’ai tellement sentie prisonnière de ses propres limites.  D’où mon lien avec la liberté. Après quelques instants, j’ai entendu mon nom entre deux sanglots.

« Vikie… je ne veux pas être toute seule… Vikie… je ne veux pas être toute seule… »
« Tu n’es pas toute seule E. Je suis là. N. est là aussi. »

Tranquillement, E. a relevé la tête et essuyé ses yeux. Avec l’énergie de son désespoir, elle a repris contact avec nous et mis de côté les barreaux de sa prison.
La période s’est terminée à ce moment. La cloche a sonné la fin de notre moment privilégié… Avant de laisser partir E., j’ai fait une chose que je ne fais jamais cependant… Sur le pas da la porte, je lui ai ouvert les bras. Son regard brouillé s’est timidement  rallumé, son visage de pierre a retrouvé sa douceur et elle s’est blottie au creux de mes bras… Je l’ai sentie se détendre et je l’ai entendu me dire « merci Vikie pour le câlin »…
J’ai pris la liberté d’avoir de la sympathie pour E.
E. a peut-être réussi à briser quelques barreaux de sa prison intérieure…




Aujourd’hui, je me dis que je prendrai peut-être aussi la liberté de revoir mon approche avec les élèves et les collègues qui m’exprime leur tristesse…





Avant de terminer…

La course Terry Fox pour amasser des fonds pour supporter la recherche sur le cancer. 2e année de mon implication. Comment ne pas souligner l’implication de la communauté! Presque 1200$ que nous avons amassés! Quand on travaille ensemble, tout le monde dans le même sens, c’est assez incroyable ce qu’on peut faire! Merci Umiujamiut!


En terminant…

Eh Vikie!!! Tu ne vas pas terminer comme ça quand même!!!!! Il était où ton ailleurs cet été???

Et si pour une fois je laissais les images parler?

Lisbonne


Espagne
Séville
La Sierra Nevada






Croatie







Slovénie