Le soleil sur mes orteils m’empêche de croire qu’il fait -29
aujourd’hui à Umiujaq. Je me dis que je devrais en profiter pour aller jouer au
hockey avec les jeunes de ma rue étant donné qu’il fait si chaud… Ils sont 6 ou
7 et plusieurs que je ne connais pas. Ça ici c’est plutôt rare de ne pas
connaître quelqu’un dans la rue, mais ces jours-ci, il y a beaucoup d’inconnu
pour moi dans ma petite communauté. Les funérailles de la mère de B. ont eu
lieu jeudi dernier. Beaucoup de gens, familles et amis, sont venus de
l’extérieur pour rendre un dernier hommage à Alice. Le gymnase de l’école était rempli pour le triste moment de
recueillement. Est-ce que les funérailles étaient belles? Je n’en sais rien…
moi je n’aime pas les funérailles. Je dis ça parce que je me souviens d’avoir
parfois entendu : c’était de belles funérailles… moi je n’aime pas les funérailles, mais en fait … qui aime
ça?
Avec ce décès de plus dans la communauté, je dirais que
l’atmosphère n’est pas trop à la rigolade… Depuis que j’ai appris la nouvelle,
une sorte de mutisme riresque m’habite. Un peu comme gêné de sourire à la vie, voire
même honteuse que tout soit si facile pour moi ici. Je me demande parfois si
j’ai vraiment le droit d’apprécier ma petite vie tranquille du nord quand je
sais qu’à quelques pas de chez moi ce n’est pas très jojo… Je ne sais pas trop.
La différence réside peut-être dans la possibilité de choix. Moi j’ai choisi
d’être ici et chaque année je peux changer d’avis. Si je ne reste pas, je sais
que la vie ailleurs m’apportera sans doute autant que la vie au Nord. Je peux
donc choisir et pas uniquement le moins pire.
Histoires en vrac
Pour Alex une histoire de renard!
C’était un matin de semaine. Après une excellente nuit de
sommeil, je m’étais réveillée tôt et détendue. En prenant mes cafés dans mon
fauteuil préféré, j’avais constaté la magnifique journée qui commençait
doucement. Entre deux gorgées, j’ai vu passer Joshua Sala sur son skidoo,
carabine au dos. Bien que je trouvais qu’il soit un peu de bonne heure pour la
chasse, je me suis simplement dit que probablement qu’ici, le gibier appartient
à celui qui se lève tôt!
Donc, détendue et relaxée, j’ai continué ma petite routine
matinale que je vous épargnerai cette fois. Fin prête pour aller travailler, je
me suis tranquillement emmitouflée dans mes vêtements super chaud, car je me
souviens qu’il faisait très froid ce matin-là. Avant de sortir, j’ai éteint la
musique et je me suis lentement dirigée vers l’extérieur en chantant, capuche
de poils sur la tête. Quand je porte le capuchon de mon gros manteau, c’est un
peu comme si j’étais dans un scaphandre… du moins je crois, car en réalité, je
n’ai jamais essayé un scaphandre… Les sons environnants me parviennent comme en
sourdine et j’ai un peu pas mal l’impression d’être seule au monde, car ma
vision périphérique est limitée de chaque côté par la bordure de fourrure de la
capuche.
Je suis donc à l’extérieur, dos à la rue, chantonnant dans
ma bulle de solitude, barrant la porte de mon appartement. Il est tôt, la vie est
belle et il n’y a aucun stress, car je suis vraiment en avance pour ma journée.
Pendant que je tourne la clé dans la serrure et que je la range ensuite dans ma
poche, la porte de ma voisine s’ouvre et avant même un bonjour, Josée me
lance : « As-tu vu le renard? » Un peu surprise par la présence
de Josée et surtout gênée qu’elle m’ait entendue chantonner les dernières
paroles de George Brassens, je ris un peu et au lieu de répondre à la question
je la salue simplement. « As-tu vu le renard? » qu’elle me répète! Et
là, au même moment où je commence à tourner la tête vers la droite en lui
demandant : « Mais de quel renard parles-tu? » Je l’entends me
crier : « VITE VITE RENTRE CHEZ TOI, IL REVIENT VITE RENTRE » …
… … C’est là que ma petite bulle de détente matinale a pété! Dans ma tête tout
est allé très VITE. Josée qui crie, renard, vite, rentre… Josée travaille dans
le nord depuis plus de 15 ans je crois. Je me suis donc dit que si elle criait
ainsi c’est qu’il y avait une raison véritable de s’inquiéter… Donc, rentrer
chez moi… Porte barrée, mitaines dans les mains, urgence… Je me suis donc mise
à crier à mon tour… et j’ai figé devant ma porte… toujours dos à la rue…
« Josée, je ne peux pas rentrer je viens de barrer ma porte!!! » -
« Viens-t-en ici tout de suite! ». Tout n’a duré que quelques
secondes et les 5 pas qui séparent ma porte de celle de Josée m’ont paru comme
des pas de géant. Dans le 10 secondes qu’a duré la panique, j’ai eu le temps de
passer de l’état de plénitude totale à l’état de stress intense, j’ai revu
notre singe Indien et j’ai pensé à ce qu’Angela m’avait dit quelques jours plus
tôt : si un renard qui a la rage touche tes vêtements, tu dois les brûler,
car la rage reste sur ceux-ci… Bordel, je ne veux pas brûler mon Canada
Goose!!! Quand je suis entrée chez Josée, le renard enragé, la bouche pleine de
sang et les yeux creux et rouges, commençait à monter les marches vers le
balcon (il n’y en a pas plus de 12). Il n’a jamais eu peur de nos cris… Wow!
Quelle frousse j’ai eue! Josée, MERCI d’être sortie en même temps que moi!!! Si
tu n’avais pas été là, je crois que j’aurais rencontré le renard au milieu des
marches et je préfère ne pas imaginer ce qui serait arrivé…
Finalement, le monsieur que j’avais vu passer le matin
chassait le renard enragé « urbain »!!! Josée et moi sommes rentrées,
Alain est sorti avec sa carabine et nous avons entendu avant de partir pour
l’école. Quelqu’un a appelé pour dire que le renard était rendu près de la
garderie, nous sommes alors parties vers l’école, bâton à la main, à l’affut de
tout mouvement suspect, prêtes à courir au besoin!
Il est à noter que depuis ce fameux matin… je ne barre plus
ma porte de maison lorsque je pars travailler…
Les Français à Umiujaq…
Moi qui n’ai habituellement pas de difficulté à raconter,
dire et fabuler… Aujourd’hui j’ai de la difficulté à rassembler mes idées sur
la visite de nos correspondants Français. Tout s’est passé si rapidement, de
l’arrivée de Sandra (qui a fait un travail incroyable) le 25 mars à maintenant
dimanche 22 avril… Les Français sont partis lundi dernier, Sandra mercredi… et
moi je suis restée ici… Rien n’a repris son cours « normal » encore.
C’est peut-être pour ça que j’ai de la difficulté à faire le point. Peut-être
qu’en écrivant…
11 élèves sont venus en France en septembre. 10 élèves sont
« revenus » à l’école à notre retour… N. ne vient que sporadiquement…
très sporadiquement à l’école. Lorsque je le croise à la COOP et que je lui dis
que je m’ennuie de lui dans la classe de géo, je le vois habituellement
apparaître le lendemain. Lorsque je croise sa mère et que je lui demande
comment va N, elle ne sait généralement pas me répondre. Quand je lui dis que
je m’inquiète pour N., elle me regarde timidement et je comprends qu’elle aussi
s’inquiète… pour N. peut-être, je ne sais pas, mais je sens qu’elle s’inquiète…
Bravo Sandra pour cette soirée réussie au Kalliq |
Donc, 7 nuits dans le village… 7 nuits de stress pas trop intense,
mais de stress tout de même. 7 sommeils légers, 6 débuts de journée à s’assurer
que tout a bien été… Rien de vraiment grave ne s’est passé… plus d’inquiétudes
que de mal… Selon ma collègue au propos qalunatiques (vous les qalunates (les blancs), nous les Inuit), cette visite des Français a amené quelque chose de
positif dans la communauté.
Nos visiteurs ont trouvé que tout était beau ici. Décalage
dans la perception… je ne suis pourtant pas une personne négative… mais je vis
ici depuis maintenant presque que deux ans… Les dé[boires] de W ou de B ne sont
pas les premiers que je vis. J’aurais souhaité égoïstement un peu plus de
retenue que les 24 heures qu’ils se sont accordés (Je comprends cependant
maintenant davantage la raison des absences de P et I (les deux fils de W) à
l’école.).
Les 7 jours ont passé rapidement, nos visiteurs ont passé du
bon temps. En une semaine, ils se sont « intégrés » et ont
expérimenté la culture inuite plus que je n’ai su le faire depuis les deux
dernières années. Ils ont maintenant une famille inuite : grands-parents,
parents, frères, sœurs et amis.
Après une journée de pêche à la rivière Caribou |
Le départ… a été déchirant. 2 heures d’attente à l’aéroport
qui ont commencé dans le brouhaha et qui se sont terminées dans les pleurs. 20
minutes avant l’arrivée de l’avion, les accolades ont commencé. Quand les
moteurs de l’avion ont grondé au-dessus de nos têtes, les premiers sanglots se
sont fait entendre. Je suis restée à l’écart, un peu comme je l’ai fait tout au
long de la semaine. Je me suis retirée de ce moment qui n’était pas le mien,
mais le leur. Puis inévitablement, l’émotivité a fini par m’atteindre, mes yeux
se sont remplis d’eau. Ces 37 jeunes ont vécu une expérience incroyable, rare,
inestimable. Si éloignés et si proches à la fois.
Départ |
Ils ont vécu ce départ comme la fin de quelque chose. Il me
reste maintenant à continuer mon travail. La fin de quelque chose signifie
inévitablement le début de quelque chose d’autre n’est-ce pas..? Nous avons eu un rêve, nous avons
travaillé pour le réaliser. Ce rêve semblait au départ inatteignable…
Parallèlement…
Une journaliste et un photographe ont accompagné le groupe
d’élèves Français… … … J’ai un
jour flirté avec l’idée du photojournalisme… Finalement… Chacun son métier… En
observant ces deux personnes, qui ont profité de notre projet d’échange
culturel pour venir faire leur travail à Umiujaq, j’ai rapidement mis de côté
cette drôle d’idée qui m’a un jour habitée. J’ai souvent dit que j’étais lente
et je l’ai réalisé davantage en voyant Weronica et surtout Benoit en pleine
action. Je vis ici depuis presque deux ans… Je commence à peine à prendre des
gens de la communauté en photo… Je commence à peine à ne plus me sentir
étrangère. Ma faculté d’intégration est belle et bien limitée. J’ai besoin de temps avant d’entrer chez les gens. J’ai besoin de temps avant de les
immortaliser dans le temps. (À propos du temps… M. Ibrahim a dit : « Le
secret du bonheur c’est la lenteur ». Ciel, je sens que j’ai un avenir de
bonheur devant moi!) Je dirais même plus, j’ai besoin d’observer, de vivre et
de penser avant de comprendre. J’ai été mal à l’aise d’imposer une journaliste
et un photographe étrangers à la communauté. Chacun son métier… Je me demande
bien ce qui sortira de leur rapide passage au Nunavik. Sans doute que le temps
nous le dira…
Samedi 28 avril…
Chasse photographique sur la rivière |
Pour en revenir à la question de la journaliste à la veille
de son départ : « Comment vois-tu cette expérience? »… Je ne
sais toujours pas quoi répondre… Je sens que les jeunes et les familles ont
vécu quelque chose de positif pendant que leurs correspondants étaient au
village. Aujourd’hui, il m’est difficile de comprendre ce qui leur reste de
cette expérience. Ont-ils développé cette faculté de rêver qui permet d’avancer
de projet en projet? Se sentent-ils oppressés par l’idée qu’ils ne pourront
revivre une telle expérience? (Est-ce que j’aurais préféré ne jamais connaître
le goût des bières de micro-brasseries maintenant que je ne peux que rarement
en profiter ou je préfère pouvoir me rappeler les odeurs, les arômes et les
saveurs? (Ben quoi, il fallait bien parler bière dans cette chronique!)) Moi je
sais qu’ils ont beaucoup de possibilités les jeunes du Nunavik, mais eux… le
savent-ils?
…
Je sens naître ici l’idée d’un nouveau projet… N’est-ce pas
Serge?
…
Derniers clins d’œil nordiques.
Vikie et les déménagements!!! Eh bien non! Ce n’est pas moi
qui ai déménagé cette fois, mais plutôt une cabine qui a fait plus de vingt
kilomètres de voyage sur la Baie gelée. Tirée par 4 motoneiges, cette spacieuse
cabine est allée rejoindre son petit coin de paradis, au sud du village (Sandra,
si tu reviens à Umiujaq nous l’avons notre destination expédition de ski! Une
journée aller, une journée retour!). Ce fut un réel plaisir de participer à
cette burlesque expédition. J’ai eu la chance de conduire la motoneige de
ravitaillement (Lucassie notre super power ranger n’avait pas oublié le gaz
cette fois!!!). Une journée de plein air, dans le bruit des skidoos, mais aussi
dans l’immensité de la Baie. Le retour au coucher du soleil aura aussi été
mémorable avec tous ces phoques se faisant chauffer la bedaine à côté de leur
trou difficilement percé à la force de leur nez!
Et d’une nouvelle soirée boréale avec littéralement une
pluie d’aurores sur nos têtes à Sébastien (mon nouvel ami policier) et moi.
J’adore cette réalité éphémère qui m’émerveille chaque fois par son unicité.
Et en parlant de policier et « d’éphémérité »,
cette semaine nous avons dû dire au revoir à notre trop nouvel ami P-O. Court
passage à Umiujaq, mais sympathique rencontre pour nous tous. Soirée d’au
revoir « festanesque » : phoque, caribou, poisson et baies. Sandra,
tu le reverras sans doute à Victo bientôt ;-)
Puis pour terminer… petit flash kite ski… Eh bien… Il faut
croire que je vieillis ou plutôt, que je m’assagis… Quelques jours avant
l’arrivée de nos visiteurs Français, je suis allée faire du cerf-volant de
traction sur la Baie avec Denis et Sandra. Au départ très peu de vent. À la
fin… trop de vent! J’ai commencé la sortie sans les skis, mais quand le vent
s’est levé… je me suis précipitée dans mes bottes sans trop y penser. Harnais,
casque et skis. De zéro vent à beaucoup de vent en quelques secondes et j’étais
déjà à plus d’un km de mon point de départ! Imaginez, je ne suis même pas
tombée étant donné qu’il y a avait trop de vent. Tirée malgré moi, j’ai
rapidement compris que j’aurais dû étudier le mécanisme de largage avant de
décoller! J’ai eu peur… mais j’ai adoré! Que d’adrénaline! Pourquoi la sagesse
me direz-vous? Ce qui m’a fait arrêter cette folle envolée c’est l’arrivée
imminente de nos correspondants… Je me suis imaginée endommagée pour leur venue
et je me suis dit que ce ne serait pas une bonne idée! Ce n’est que partie
remise rassurez-vous!
Je souhaite à tous un excellent printemps. Profitez des
terrasses et des balcons à ma santé. Je vous y rejoindrai bientôt (8 semaines)
pour une petite saucette avant d’y revenir pour presque 3 semaines à la fin
juillet et au début août. Sophie, l’Islande a l’air magnifique. Prépare tes
bottes de marche, ton appareil photo et ton costume de bain! Nora, prépare
aussi de bonnes chaussures, car bientôt, nous marcherons ensemble dans tous les
coins de Berlin. Matthias, prépare ton foie, car j’espère aussi visiter
quelques bons pubs allemands! Mirko et Mauricio à vous de me dire quoi préparer
pour nos petites vacances de fin d’été ;-)
À très bientôt!
Vikie |