samedi 28 avril 2012

De la grande visite à Umiujaq

En attendant l'arrivée de nos amis Français! 


Le soleil sur mes orteils m’empêche de croire qu’il fait -29 aujourd’hui à Umiujaq. Je me dis que je devrais en profiter pour aller jouer au hockey avec les jeunes de ma rue étant donné qu’il fait si chaud… Ils sont 6 ou 7 et plusieurs que je ne connais pas. Ça ici c’est plutôt rare de ne pas connaître quelqu’un dans la rue, mais ces jours-ci, il y a beaucoup d’inconnu pour moi dans ma petite communauté. Les funérailles de la mère de B. ont eu lieu jeudi dernier. Beaucoup de gens, familles et amis, sont venus de l’extérieur pour rendre un dernier hommage à Alice.  Le gymnase de l’école était rempli pour le triste moment de recueillement. Est-ce que les funérailles étaient belles? Je n’en sais rien… moi je n’aime pas les funérailles. Je dis ça parce que je me souviens d’avoir parfois entendu : c’était de belles funérailles…  moi je n’aime pas les funérailles, mais en fait … qui aime ça? 

Avec ce décès de plus dans la communauté, je dirais que l’atmosphère n’est pas trop à la rigolade… Depuis que j’ai appris la nouvelle, une sorte de mutisme riresque m’habite. Un peu comme gêné de sourire à la vie, voire même honteuse que tout soit si facile pour moi ici. Je me demande parfois si j’ai vraiment le droit d’apprécier ma petite vie tranquille du nord quand je sais qu’à quelques pas de chez moi ce n’est pas très jojo… Je ne sais pas trop. La différence réside peut-être dans la possibilité de choix. Moi j’ai choisi d’être ici et chaque année je peux changer d’avis. Si je ne reste pas, je sais que la vie ailleurs m’apportera sans doute autant que la vie au Nord. Je peux donc choisir et pas uniquement le moins pire.

Histoires en vrac

Pour Alex une histoire de renard!
C’était un matin de semaine. Après une excellente nuit de sommeil, je m’étais réveillée tôt et détendue. En prenant mes cafés dans mon fauteuil préféré, j’avais constaté la magnifique journée qui commençait doucement. Entre deux gorgées, j’ai vu passer Joshua Sala sur son skidoo, carabine au dos. Bien que je trouvais qu’il soit un peu de bonne heure pour la chasse, je me suis simplement dit que probablement qu’ici, le gibier appartient à celui qui se lève tôt!
Donc, détendue et relaxée, j’ai continué ma petite routine matinale que je vous épargnerai cette fois. Fin prête pour aller travailler, je me suis tranquillement emmitouflée dans mes vêtements super chaud, car je me souviens qu’il faisait très froid ce matin-là. Avant de sortir, j’ai éteint la musique et je me suis lentement dirigée vers l’extérieur en chantant, capuche de poils sur la tête. Quand je porte le capuchon de mon gros manteau, c’est un peu comme si j’étais dans un scaphandre… du moins je crois, car en réalité, je n’ai jamais essayé un scaphandre… Les sons environnants me parviennent comme en sourdine et j’ai un peu pas mal l’impression d’être seule au monde, car ma vision périphérique est limitée de chaque côté par la bordure de fourrure de la capuche.
Je suis donc à l’extérieur, dos à la rue, chantonnant dans ma bulle de solitude, barrant la porte de mon appartement. Il est tôt, la vie est belle et il n’y a aucun stress, car je suis vraiment en avance pour ma journée. Pendant que je tourne la clé dans la serrure et que je la range ensuite dans ma poche, la porte de ma voisine s’ouvre et avant même un bonjour, Josée me lance : « As-tu vu le renard? » Un peu surprise par la présence de Josée et surtout gênée qu’elle m’ait entendue chantonner les dernières paroles de George Brassens, je ris un peu et au lieu de répondre à la question je la salue simplement. « As-tu vu le renard? » qu’elle me répète! Et là, au même moment où je commence à tourner la tête vers la droite en lui demandant : « Mais de quel renard parles-tu? » Je l’entends me crier : « VITE VITE RENTRE CHEZ TOI, IL REVIENT VITE RENTRE » … … … C’est là que ma petite bulle de détente matinale a pété! Dans ma tête tout est allé très VITE. Josée qui crie, renard, vite, rentre… Josée travaille dans le nord depuis plus de 15 ans je crois. Je me suis donc dit que si elle criait ainsi c’est qu’il y avait une raison véritable de s’inquiéter… Donc, rentrer chez moi… Porte barrée, mitaines dans les mains, urgence… Je me suis donc mise à crier à mon tour… et j’ai figé devant ma porte… toujours dos à la rue… « Josée, je ne peux pas rentrer je viens de barrer ma porte!!! » - « Viens-t-en ici tout de suite! ». Tout n’a duré que quelques secondes et les 5 pas qui séparent ma porte de celle de Josée m’ont paru comme des pas de géant. Dans le 10 secondes qu’a duré la panique, j’ai eu le temps de passer de l’état de plénitude totale à l’état de stress intense, j’ai revu notre singe Indien et j’ai pensé à ce qu’Angela m’avait dit quelques jours plus tôt : si un renard qui a la rage touche tes vêtements, tu dois les brûler, car la rage reste sur ceux-ci… Bordel, je ne veux pas brûler mon Canada Goose!!! Quand je suis entrée chez Josée, le renard enragé, la bouche pleine de sang et les yeux creux et rouges, commençait à monter les marches vers le balcon (il n’y en a pas plus de 12). Il n’a jamais eu peur de nos cris… Wow! Quelle frousse j’ai eue! Josée, MERCI d’être sortie en même temps que moi!!! Si tu n’avais pas été là, je crois que j’aurais rencontré le renard au milieu des marches et je préfère ne pas imaginer ce qui serait arrivé…
Finalement, le monsieur que j’avais vu passer le matin chassait le renard enragé « urbain »!!! Josée et moi sommes rentrées, Alain est sorti avec sa carabine et nous avons entendu avant de partir pour l’école. Quelqu’un a appelé pour dire que le renard était rendu près de la garderie, nous sommes alors parties vers l’école, bâton à la main, à l’affut de tout mouvement suspect, prêtes à courir au besoin!
Il est à noter que depuis ce fameux matin… je ne barre plus ma porte de maison lorsque je pars travailler…

Les Français à Umiujaq…
 
Moi qui n’ai habituellement pas de difficulté à raconter, dire et fabuler… Aujourd’hui j’ai de la difficulté à rassembler mes idées sur la visite de nos correspondants Français. Tout s’est passé si rapidement, de l’arrivée de Sandra (qui a fait un travail incroyable) le 25 mars à maintenant dimanche 22 avril… Les Français sont partis lundi dernier, Sandra mercredi… et moi je suis restée ici… Rien n’a repris son cours « normal » encore. C’est peut-être pour ça que j’ai de la difficulté à faire le point. Peut-être qu’en écrivant…

11 élèves sont venus en France en septembre. 10 élèves sont « revenus » à l’école à notre retour… N. ne vient que sporadiquement… très sporadiquement à l’école. Lorsque je le croise à la COOP et que je lui dis que je m’ennuie de lui dans la classe de géo, je le vois habituellement apparaître le lendemain. Lorsque je croise sa mère et que je lui demande comment va N, elle ne sait généralement pas me répondre. Quand je lui dis que je m’inquiète pour N., elle me regarde timidement et je comprends qu’elle aussi s’inquiète… pour N. peut-être, je ne sais pas, mais je sens qu’elle s’inquiète…

Bravo Sandra pour cette soirée réussie au Kalliq
Donc, N ne vient plus à l’école depuis plusieurs mois. Nous avons eu une décision à prendre à son sujet, car la venue des Français s’inscrit tout de même dans un contexte scolaire… Quelques jours avant l’arrivée de nos correspondants, le directeur a convoqué N à l’école pour lui apprendre qu’il ne pourrait recevoir son ami Français à la maison et qu’il ne pourrait participer aux activités reliées à l’école. Pour le directeur, Sandra et moi, cette rencontre a été difficile… mais au fond, elle était nécessaire, je crois. Je ne sais pas si N. a compris les raisons de cette décision, je sais cependant que ça lui a fait quelque chose… Une conséquence à son décrochage scolaire. Ici, il y a rarement des conséquences associées aux comportements. Si tu n’es plus un étudiant, tu ne peux pas participer à un échange scolaire… J’ai trouvé vraiment difficile d’exclure N de la dernière partie du projet. Peut-être que j’ai trouvé ça plus difficile que lui en fait… Heureusement, il a participé aux activités ouvertes à la communauté. Je m’ennuie sincèrement de N et je m’inquiète aussi pour lui…

Donc, 7 nuits dans le village… 7 nuits de stress pas trop intense, mais de stress tout de même. 7 sommeils légers, 6 débuts de journée à s’assurer que tout a bien été… Rien de vraiment grave ne s’est passé… plus d’inquiétudes que de mal… Selon ma collègue au propos qalunatiques (vous les qalunates (les blancs), nous les Inuit), cette visite des Français a amené quelque chose de positif dans la communauté.

Nos visiteurs ont trouvé que tout était beau ici. Décalage dans la perception… je ne suis pourtant pas une personne négative… mais je vis ici depuis maintenant presque que deux ans… Les dé[boires] de W ou de B ne sont pas les premiers que je vis. J’aurais souhaité égoïstement un peu plus de retenue que les 24 heures qu’ils se sont accordés (Je comprends cependant maintenant davantage la raison des absences de P et I (les deux fils de W) à l’école.).

Les 7 jours ont passé rapidement, nos visiteurs ont passé du bon temps. En une semaine, ils se sont « intégrés » et ont expérimenté la culture inuite plus que je n’ai su le faire depuis les deux dernières années. Ils ont maintenant une famille inuite : grands-parents, parents, frères, sœurs et amis.

Après une journée de pêche à la rivière Caribou

Le départ… a été déchirant. 2 heures d’attente à l’aéroport qui ont commencé dans le brouhaha et qui se sont terminées dans les pleurs. 20 minutes avant l’arrivée de l’avion, les accolades ont commencé. Quand les moteurs de l’avion ont grondé au-dessus de nos têtes, les premiers sanglots se sont fait entendre. Je suis restée à l’écart, un peu comme je l’ai fait tout au long de la semaine. Je me suis retirée de ce moment qui n’était pas le mien, mais le leur. Puis inévitablement, l’émotivité a fini par m’atteindre, mes yeux se sont remplis d’eau. Ces 37 jeunes ont vécu une expérience incroyable, rare, inestimable. Si éloignés et si proches à la fois.
Départ

Ils ont vécu ce départ comme la fin de quelque chose. Il me reste maintenant à continuer mon travail. La fin de quelque chose signifie inévitablement le début de quelque chose d’autre n’est-ce pas..?  Nous avons eu un rêve, nous avons travaillé pour le réaliser. Ce rêve semblait  au départ inatteignable… 

Parallèlement…
Une journaliste et un photographe ont accompagné le groupe d’élèves Français… … …  J’ai un jour flirté avec l’idée du photojournalisme… Finalement… Chacun son métier… En observant ces deux personnes, qui ont profité de notre projet d’échange culturel pour venir faire leur travail à Umiujaq, j’ai rapidement mis de côté cette drôle d’idée qui m’a un jour habitée. J’ai souvent dit que j’étais lente et je l’ai réalisé davantage en voyant Weronica et surtout Benoit en pleine action. Je vis ici depuis presque deux ans… Je commence à peine à prendre des gens de la communauté en photo… Je commence à peine à ne plus me sentir étrangère. Ma faculté d’intégration est belle et bien limitée. J’ai besoin de temps avant d’entrer chez les gens. J’ai besoin de temps avant de les immortaliser dans le temps. (À propos du temps… M. Ibrahim a dit : « Le secret du bonheur c’est la lenteur ». Ciel, je sens que j’ai un avenir de bonheur devant moi!) Je dirais même plus, j’ai besoin d’observer, de vivre et de penser avant de comprendre. J’ai été mal à l’aise d’imposer une journaliste et un photographe étrangers à la communauté. Chacun son métier… Je me demande bien ce qui sortira de leur rapide passage au Nunavik. Sans doute que le temps nous le dira…

Samedi 28 avril…
Chasse photographique sur la rivière
Est-ce que c’est parce que le temps passe si vite que je suis si lente? Ça fait presque deux semaines que les Français sont partis. Je sens enfin un retour à la routine. Après une semaine « normale » à l’école, après la reprise du jogging, après une marche sur la rivière (pas dans la rivière cette fois)… Je me retrouve maintenant à mon tour devant la fin de quelque chose… comme les élèves au départ de leurs correspondants… Depuis mon arrivée à Umiujaq l’an dernier, j’ai donné un coup de main à Sandra pour ce projet d’échange. Aujourd’hui, tout semble bel et bien terminé. Je dois maintenant me souvenir de mes propres paroles : « La fin de quelque chose signifie inévitablement le début de quelque chose d’autre n’est-ce pas..? »

Pour en revenir à la question de la journaliste à la veille de son départ : « Comment vois-tu cette expérience? »… Je ne sais toujours pas quoi répondre… Je sens que les jeunes et les familles ont vécu quelque chose de positif pendant que leurs correspondants étaient au village. Aujourd’hui, il m’est difficile de comprendre ce qui leur reste de cette expérience. Ont-ils développé cette faculté de rêver qui permet d’avancer de projet en projet? Se sentent-ils oppressés par l’idée qu’ils ne pourront revivre une telle expérience? (Est-ce que j’aurais préféré ne jamais connaître le goût des bières de micro-brasseries maintenant que je ne peux que rarement en profiter ou je préfère pouvoir me rappeler les odeurs, les arômes et les saveurs? (Ben quoi, il fallait bien parler bière dans cette chronique!)) Moi je sais qu’ils ont beaucoup de possibilités les jeunes du Nunavik, mais eux… le savent-ils?


Je sens naître ici l’idée d’un nouveau projet… N’est-ce pas Serge?


Derniers clins d’œil nordiques.


Vikie et les déménagements!!! Eh bien non! Ce n’est pas moi qui ai déménagé cette fois, mais plutôt une cabine qui a fait plus de vingt kilomètres de voyage sur la Baie gelée. Tirée par 4 motoneiges, cette spacieuse cabine est allée rejoindre son petit coin de paradis, au sud du village (Sandra, si tu reviens à Umiujaq nous l’avons notre destination expédition de ski! Une journée aller, une journée retour!). Ce fut un réel plaisir de participer à cette burlesque expédition. J’ai eu la chance de conduire la motoneige de ravitaillement (Lucassie notre super power ranger n’avait pas oublié le gaz cette fois!!!). Une journée de plein air, dans le bruit des skidoos, mais aussi dans l’immensité de la Baie. Le retour au coucher du soleil aura aussi été mémorable avec tous ces phoques se faisant chauffer la bedaine à côté de leur trou difficilement percé à la force de leur nez!


Et d’une nouvelle soirée boréale avec littéralement une pluie d’aurores sur nos têtes à Sébastien (mon nouvel ami policier) et moi. J’adore cette réalité éphémère qui m’émerveille chaque fois par son unicité.


 


Et en parlant de policier et « d’éphémérité », cette semaine nous avons dû dire au revoir à notre trop nouvel ami P-O. Court passage à Umiujaq, mais sympathique rencontre pour nous tous. Soirée d’au revoir « festanesque » : phoque, caribou, poisson et baies. Sandra, tu le reverras sans doute à Victo bientôt ;-)

Puis pour terminer… petit flash kite ski… Eh bien… Il faut croire que je vieillis ou plutôt, que je m’assagis… Quelques jours avant l’arrivée de nos visiteurs Français, je suis allée faire du cerf-volant de traction sur la Baie avec Denis et Sandra. Au départ très peu de vent. À la fin… trop de vent! J’ai commencé la sortie sans les skis, mais quand le vent s’est levé… je me suis précipitée dans mes bottes sans trop y penser. Harnais, casque et skis. De zéro vent à beaucoup de vent en quelques secondes et j’étais déjà à plus d’un km de mon point de départ! Imaginez, je ne suis même pas tombée étant donné qu’il y a avait trop de vent. Tirée malgré moi, j’ai rapidement compris que j’aurais dû étudier le mécanisme de largage avant de décoller! J’ai eu peur… mais j’ai adoré! Que d’adrénaline! Pourquoi la sagesse me direz-vous? Ce qui m’a fait arrêter cette folle envolée c’est l’arrivée imminente de nos correspondants… Je me suis imaginée endommagée pour leur venue et je me suis dit que ce ne serait pas une bonne idée! Ce n’est que partie remise rassurez-vous!

Je souhaite à tous un excellent printemps. Profitez des terrasses et des balcons à ma santé. Je vous y rejoindrai bientôt (8 semaines) pour une petite saucette avant d’y revenir pour presque 3 semaines à la fin juillet et au début août. Sophie, l’Islande a l’air magnifique. Prépare tes bottes de marche, ton appareil photo et ton costume de bain! Nora, prépare aussi de bonnes chaussures, car bientôt, nous marcherons ensemble dans tous les coins de Berlin. Matthias, prépare ton foie, car j’espère aussi visiter quelques bons pubs allemands! Mirko et Mauricio à vous de me dire quoi préparer pour nos petites vacances de fin d’été ;-)

À très bientôt!

Vikie