« Going home without my sorrow
Going home sometime tomorrow
Going home to where it’s better than before… »
Going
Home –Leonard Cohen
Année scolaire 2014-2015… Cinquième année Nordique qui
débute. Dernière année Nunavikienne avant MA fameuse année différée. J’essaye
encore de ne pas trop l’imaginer, quoi que dans les rares et brefs moments de
découragements, je me réconforte en m’imaginant dans cet ailleurs pas trop
futur (Vietnam, Cambodge, Indonésie, Laos, Chili… on verra bien) et sans doute
meilleur.
Home…
Mi-Août 2011… dans le stationnement du cargo Air Inuit à
PET, entre deux boîtes de carton.
« Mais Vikie? »
« Oui Mirko? »
« Elle est où ta maison? »
« Hummm…. Ma maison? »
« Oui TA maison! Elle est en Inde? À Québec? Dans le
Nord? À Longueuil? »
« C’est une bonne question ça Mirko! » « Je
ne sais pas trop… »
« … »
« … »
« Vikie? »
« Oui Mirko? »
« Quand est-ce que tu vas revenir? »
« Je reviens à Noël! »
« Non, non. Je veux dire, quand est-ce que tu vas
revenir? »
« Ha… Tu veux dire, revenir pour plus longtemps? » « Je vais revenir
cet été J »
« … je veux dire REVENIR Vikie! »
« … » « Ha… Tu veux dire… revenir pour rester? »
« OUI!!!»
« … » « C’est une bonne question ça
Mirko! » « Je ne sais pas trop … »
Et les nomades, ils répondraient quoi eux à cette question?
« I'm
lost and silent
like an owl among the ruins
my wings lined with ashes
alone on the roof
I feel I'm a nomad »
Geoffrey
Oryema
(On dirait bien que je fais
une chronique musicale aujourd’hui. Il y a beaucoup de pluie ces temps-ci sur
Umi. Le ciel gris amène son lot de réflexions et se laisse bien bercer par la
musique. Je passe donc beaucoup de temps à tricoter en pensant à vous (oui oui
à vous chers lecteurs). Quelques mailles, quelques mots sur le papier. Quelques
mailles, un café (PAS QUELQUES cafés vous vous rappelez). Quelques mailles, une
pause pour écouter la musique de Cohen…)
Donc, vous l’aurez sans
doute compris, ces temps-ci, je réfléchis beaucoup à l’idée de maison (dans le
sens de sentiment d’appartenance à un lieu). Pour toutes sortes de raisons,
mais surtout parce qu’il y a beaucoup de nouvelles personnes dans mon
environnement immédiat cette année, j’ai été amené à partager d’où je viens et
où je vis quand je ne suis pas ici… Et c’est probablement cette deuxième partie
de la question qui m’a amené à me questionner davantage.
J’ai quelques fois prétendu
à la blague que j’étais une sorte de nomade (Y’a pas quelqu’un qui a fait une
chanson là-dessus… Je suis un Nomade Sédentaire ?). Pour moi, pouvoir
déménager à l’aide d’une simple minivan a longtemps été associé à une sorte de
liberté. Chaque fois que je me suis départie d’un bien matériel imposant, ce
sentiment de liberté s’est vu augmenté. Maintenant, mes possessions tiennent
dans quelques pieds carrés, dans un entrepôt anonyme du boulevard Taschereau. À
part 2 ou 3 antiquités et quelques BD, je peine à me rappeler ce qui y est
empilé…
Alors…
« Elle est où ta
maison Vikie ? »
Cher Mirko, je crois
qu’après toutes ces années, je te dois au moins le début d’une réponse ;-)
Et là j'entends vos voix résonner dans mes oreilles : Ciel Vikie !!!! 3
ans de réflexion !
C’est toujours ben moins long
que Cent ans de Solitude!!!! Et arrêtez donc ! Vous le savez bien de toute
façon que je suis lente !
Surtout… Surtout… Rappelez-vous
M. Ibrahim et Oscar ! Le secret du bonheur… hein ??? C’est quoi le
secret du bonheur ?? Le secret du bonheur c’est la lenteur voyons!!!!!!
Qu’on se le tienne pour
dit !
À l’approche de cette année
de congé bien mérité (hahaha n’importe quoi !), cette question de mon ami
de maintenant 11 ans est plus que pertinente. Parce que quand je partirai d’ici en juin… je ne devrais pas
retourner à la maison justement? Au cours des 10 dernières années, j’ai habité à Outremont,
Verdun, Brossard, Rimouski, Québec, Longueuil et Umiujaq ! Peut-être
pouvez-vous apercevoir le début de ma confusion ? Bon ! Mettons les
choses au clair et évitons les stress inutiles. C’est bien certain qu’en
partant d’ici, j’irai inévitablement quelque part (Sophie, tu imagines tout ce
que je retrouverai là-bas !!!). Mais est-ce que ce quelque part sera ma maison ? … ? … ?
Peut-être que notre maison est partout, tant qu’on la trouve
à l’intérieur de nous…
Pour toi Mirko…
« Mais Vikie? »
« Oui Mirko? »
« Elle est où ta maison? »
« Hummm…. Ma maison? »
« Oui TA maison! Elle est en Inde? À Québec? Dans le Nord? À Longueuil? »
« Oui TA maison! Elle est en Inde? À Québec? Dans le Nord? À Longueuil? »
« C’est une bonne question ça! » « MA maison
est en moi Mirko. Elle est dans mon café que je goûte, dans la baie que je
regarde, dans la toundra que j’explore, dans les gens que je côtoie, dans la
musique que j’écoute, dans la vie que je ressens. Elle m’accompagne où que je sois :
Longueuil, Umiujaq, Barcelone, Inde, Burkina… Et tu sais quoi Mirko? C’est peut-être pour ça que
j’arrive si facilement à être bien ailleurs. »
S’habiter… moi je l’aime bien cette idée. En plus, ça me
donne un immense sentiment de liberté!
Puis parlant de liberté…
Quand je suis au travail, avec les élèves (ou les
collègues…), je fais parfois preuve de… ce que certains qualifieraient, manque
de sensibilité… Axée sur la tâche à accomplir, mettant de côté la sensibilité
de chacun, regardant froidement les situations… Bref au travail, je travaille. Il
m’est donc arrivé quelques fois (mais pas trop souvent quand même) de regarder
des élèves (et parfois des collègues) pleurer sans essayer de les réconforter,
et Ô shame on me, sans éprouver de
sympathie (ou empathie je ne sais plus trop). Cependant, j’ai toujours laissé
l’espace aux élèves (et aux collègues) afin de vivre leurs peines ou leurs
frustrations.
Et le rapport avec la liberté?
Et bien l’autre jour, E et N sont dans ma petite classe.
L’équilibre est toujours très fragile avec ces deux élèves. Faisant preuve
d’une froideur contrôlée, je respecte toujours cette fragilité. À l’écoute des
besoins de chacun, j’adapte les leçons, je crée un lien significatif, je
réponds le plus rapidement possible aux inquiétudes que je sens, je suis
présente à chaque instant. Mais même avec seulement 2 élèves, il m’arrive
parfois de ne pas voir arriver les débordements d’émotions. Algorithme vertical de l’addition, sans
retenue. Pas à pas, je fais les exercices avec les élèves. Jetons pour compter,
règles pour additionner, papier pour tracer… N. suit bien et décide même de
prendre un peu d’avance. E. a de la difficulté à compter… Règle, jetons,
papier, modelage, accompagnement… Elle ne me suit plus car, du coin de l’œil
elle l’a bien vu que N. peut travailler toute seule… Il suffit d’un mini
instant et E. se ferme complètement. J’aperçois d’abord sa petite main se
crisper sur son crayon. Elle dessine ensuite de gros traits pesants sur son
papier. Son visage habituellement si doux semble se transformer en pierre. Ses
yeux se remplissent alors de tristesse. Dans ce regard humide et brouillé
maintenant inaccessible, je vois et ressens toute l’impuissance qui habite cet
enfant… Du haut de mon froid
respect, je lui mets la main sur l’épaule. Par ce geste, je lui signifie ma
présence… qu’elle repousse. Je lui dis alors qu’elle peut prendre une pause et
que lorsqu’elle sera prête, je suis là pour elle. N. et moi continuons donc de
travailler en tentant de respecter le plus possible l’espace de E.
Après quelques instants, le visage maintenant caché au creux
de ses bras, j’entends et je vois les sanglots profonds sortir de cette élève
blessée. Tout en continuant de travailler avec N., je dépose une fois de plus
ma main sur l’épaule de E. Cette fois, elle ne la repousse pas… Le corps tendu de cette fillette de 11
ans m’a déstabilisée. Je l’ai tellement sentie prisonnière de ses propres
limites. D’où mon lien avec la liberté.
Après quelques instants, j’ai entendu mon nom entre deux sanglots.
« Vikie… je ne veux pas être toute seule… Vikie… je ne
veux pas être toute seule… »
« Tu n’es pas toute seule E. Je suis là. N. est là
aussi. »
Tranquillement, E. a relevé la tête et essuyé ses yeux. Avec
l’énergie de son désespoir, elle a repris contact avec nous et mis de côté les
barreaux de sa prison.
La période s’est terminée à ce moment. La cloche a sonné la
fin de notre moment privilégié… Avant de laisser partir E., j’ai fait une chose
que je ne fais jamais cependant… Sur le pas da la porte, je lui ai ouvert les
bras. Son regard brouillé s’est timidement rallumé, son visage de pierre a retrouvé sa douceur et elle
s’est blottie au creux de mes bras… Je l’ai sentie se détendre et je l’ai
entendu me dire « merci Vikie pour le câlin »…
J’ai pris la liberté d’avoir de la sympathie pour E.
E. a peut-être réussi à briser quelques barreaux de sa
prison intérieure…
Aujourd’hui, je me dis que je prendrai peut-être aussi la liberté de revoir mon approche avec les élèves et les collègues qui m’exprime leur tristesse…
…
Avant de terminer…
La course Terry Fox pour amasser des fonds pour supporter la
recherche sur le cancer. 2e année de mon implication. Comment ne pas
souligner l’implication de la communauté! Presque 1200$ que nous avons amassés!
Quand on travaille ensemble, tout le monde dans le même sens, c’est assez
incroyable ce qu’on peut faire! Merci Umiujamiut!
En terminant…
Eh Vikie!!! Tu ne vas pas terminer comme ça quand même!!!!!
Il était où ton ailleurs cet été???
Et si pour une fois je laissais les images parler?
Espagne
Séville |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire